Jeudi 27 mars 2025 - TAJAN - Paris

Johann Friedrich OVERBECK (Lübeck 1789 - Rome 1869)

L'Annonciation

Toile

79 x 51.5 cm

Monogrammé et daté au centre "FO. / 1820" ; porte une étiquette ancienne au revers du cadre "T. 27"

Restaurations anciennes

Estimation : 100 000 - 150 000 €

Provenance :
Commandé à l'artiste en 1815 par Friederich Ernst Carl Fromm (Schwerin-Schloss 12 septembre 1776 - Rostock 5 décembre 1846), conseiller supérieur de la cour d’appel du grand-duché de Mecklembourg-Schwerin ; livré en 1820 ;
Collection de sa fille Bertha Fromm (Parchim 22 janvier 1819 - Rostock 7 mai 1905). Elle épouse le prof. Dr. Friedrich Hermann Stannius le 1er octobre 1841 à Rostock ;
Collection de sa fille Bertha Stannius (Rostock 27 novembre 1844 - Göttingen 6 avril 1915). Elle épouse Hermann Ernst Christian Förster le 28 mai 1874 à Rostock ;
Collection de sa fille Margarete Auguste Sophie Emma Johanna Förster (Aurich 11 novembre 1878 - ?). Elle épouse Geoorg Willibald Gustav Adolf Franz Bernhard, baron von Vietinghoff-Scheel le 2 octobre 1897 à Göttingen ;
Collection de sa fille Ilse Bertha Valeska barone von Vietinghoff-Scheel (Göttingen 8 aout 1899 - ?). Elle épouse Hellmuth Heinrich Hermann Ernst Castorf le 5 décembre 1925 à Cassel ;
Collection de sa fille Ilse Marianne Hedwig Castorf (Berlin Tempelhof 9 avril 1933 - 9 février 2018) ;
Collection de son fils (ill. 1).

 

Bibliographie :
Lettre d'Overbeck à ses parents et à son frère, datées du 8 juin 1820 et du 30 mai 1823 (voir Thimann notes 136 et 138) ;
V. Jent, Emilie Linder 1797-1867. Studie zur Biographie der Basler Kunstsammlerin und Freundin Clemens Brentanos, Berlin, 1970, pp. 28, 30 et 54 (peinture perdue) ;
Catalogue de l'exposition I Nazareni a Roma, Rome, Galerie Nationale d'Art Moderne, 22 janvier - 22 mars 1981, cité sous le n° 69 (peinture perdue citée par Jent) ;
M. Thimann, Overbeck und die Bildkonzepte des 19 Jahrhunderts, Ratisbonne, 2014, pp. 253-255 (tableau perdu).

 

 

La découverte de cette œuvre inédite, citée dans la correspondance de Johann Friedrich Overbeck (voir Jent et Thimann) et restée dans la famille du commanditaire depuis l’origine, constitue une émouvante réapparition tant les tableaux de cet artiste sont peu nombreux. Notre tableau date des premiers temps du courant Nazaréens, lorsque ce mouvement est le plus innovant et qu’Overbeck en est le chef de file. Plus généralement, les œuvres des Nazaréens sont presque absentes du marché de l’art, puisque quasiment toutes sur fresques ou conservées dans des musées allemands .

Commandée en 1815 par le président du tribunal de Rostock, Friedrich Fromm, notre œuvre était conservée jusqu’en 1992 avec Les Trois Marie au tombeau (toile, 63,2 x 75,2 cm) de Peter von Cornelius (commandée en 1815, livrée à Fromm en 1822 et acquis en 1992 par la Neue Pinakothek de Münich) (ill. 2).

Notre composition n’était jusqu’à présent connue que par trois œuvres graphiques de l’artiste :
. Le carton préparatoire de 1815, livré avec le tableau à Friedrich Fromm par l’intermédiaire des parents d’Overbeck (acquis par le Museum Behnhaus Drägerhaus de Lübeck en 1991 (ill. 3). Voir Thimann, op.cit. note 137) ;
. Un dessin à la pierre noire, daté 1814 (acquis auprès de l'artiste en 1831 par Emilie Linder et aujourd’hui au Kupferstichkabinett de Bâle) ;
. Et une aquarelle de 1816-1817 (donnée par l'artiste à Hermann Nolte et aujourd'hui au Museo Nacional de San Carlos, au Mexique (ill. 4). Sur ces deux derniers dessins, L’Annonciation constitue la partie gauche d’un diptyque avec La Visitation à droite.

Ces dessins montrent un vase avec le lys au centre, un pavement et un paysage différents. Sur notre toile, l’artiste a supprimé le vase (un repentir) et a ajouté la tige fleurie dans la main gauche de Gabriel. Il a aussi changé la couleur du vêtement de Joseph.
Enfin, notre tableau a été lithographié à Hambourg en 1822.
Ces dessins témoignent du long et précieux travail d’Overbeck considérant ses œuvres comme des révélations poétiques et spirituelles.

 

La composition

Cintrée à la manière des retables italiens, notre Annonciation propose une synthèse mêlant avec virtuosité des éléments gothiques et Renaissance, s’inspirant autant des maîtres italiens que de ceux de l’école du Nord. L’espace est étagée sur plusieurs plans.

Au premier plan, une loggia, fermée par une colonnade ornée de chapiteaux corinthiens, abrite la scène religieuse, évoquant les modèles flamands tel que la Vierge au Chancelier Rolin de Jan Van Eyck (musée du Louvre), rapprochement renforcé par les lignes de fuite du pavement géométrique au sol. Elle est surmontée d’une voûte à croisée d’ogives dont les nervures convergent en son centre.

Sur la gauche, selon les principes de la perspective albertienne du Quattrocento, on découvre un portique dorique, un puits équipé d'une poulie, suivi d’un bas-côté d’église avec un campanile (mur-clocher) dans son prolongement. L’édifice religieux présente un balcon en console, inspiré des architectures des primitifs du Trecento tels qu’on en voit chez Giotto ou Duccio.

La construction de l’espace se poursuit par une balustrade, au-delà de laquelle quelques marches mènent à un jardin évoquant l’Hortus Conclusus médiéval, symbole de la virginité de Marie tiré du Cantique des Cantiques : « Tu es un jardin clos, une source scellée ». Au centre de ce parterre, saint Joseph apparaît en jardinier, arrosant des fleurs décrites avec une précision digne d’une enluminure : roses (symbole de la conception immaculée), ancolies, violettes, iris et muguet.

Plus loin, au-delà d’une clôture en bois, un paysage lacustre alpestre est bordé de bâtiments du Moyen Âge : un beffroi à colombages et de l’autre côté de la rive, une église gothique avec son toit en forme de flèche. À droite, les murailles d’un château médiéval sur un escarpement rocheux, ne sont pas sans rappeler l’aquarelle d’Albrecht Dürer, la Vue de la vallée de l’Arco (musée du Louvre).

 

Les figures s’inspirent des maîtres de la Renaissance florentine et ombrienne, de la manière douce du Pérugin, du Pinturicchio à travers plusieurs sources. L’archange Gabriel, en posture de révérence, porte une branche de lys, symbole de la pureté de la Vierge. Marie était en train de lire au moment de l’annonce de l’envoyé de Dieu et son visage est empreint d’une douce expression d’humilité. Le visage de la Vierge a été mis en place dès 1811 par Overbeck dans son tableau Madonne devant le mur (panneau, 30,6 x 23,2 cm) de 1811 (conservé au Museum Behnhaus Drägerhaus de Lübeck). Dans le ciel, la colombe du Saint-Esprit est discrètement intégrée, en parfait alignement vertical avec saint Joseph. L’ensemble est plongé dans une lumière douce, égale, cristalline, caractéristique du Quattrocento. La limpidité du ciel et la forme des nuages rappellent Bellini, Cima da Conegliano, ou les Raphaël peints vers 1500 .

 

Le mouvement Nazaréen

En 1809, Overbeck et Franz Pforr s’opposent à l’esthétique néoclassique telle que l’avait définie Winckelmann. Ils font sécession contre l’enseignement qui leur est prodigué à l’Académie de Vienne et fondent avec d’autres artistes la Guilde de Saint-Luc (Lukasbund). La même année, ils s’installent à Rome. Ils se convertissent au catholicisme et prennent le nom de « Nazaréens ». Issu d’une famille protestante, Overbeck se convertit au catholicisme en 1813. Ils sont rejoints par Philipp Veit, Peter von Cornelius, Julius Schnorr von Carolsfeld, Friedrich Wilhelm Schadow et quelques autres. Leur but est de regénérer la peinture en revenant à la pureté originelle de l’art chrétien des primitifs , du Quattrocento, en étudiant les œuvres de Dürer et celles de la première période de Raphaël, avant 1507, en Ombrie et à Florence. A l’exemple de Fra Angelico, ils souhaitent exprimer des sentiments purs, réconcilier l’Ideal et la Réalité. Ils habitent au monastère abandonné de San Isidoro sur le Monte Pincio, se nomment frères entre eux, chacun vivant et travaillant dans une cellule de moine, ce qui constitue la première association de peintres des Temps modernes .

Après la mort prématurée de Pforr en 1812, Overbeck reste seul leader. Après l’arrivée de Cornelius en 1811, la fraternité reçoit la commande de décoration des fresques du palais de Jacob Salomon Bartholdy, consul général de Prusse (aujourd’hui exposées à la Alte Nationalgalerie de Berlin) et ensuite du pavillon de chasse du prince Francesco Massimo, toujours en place au Latran à Rome. Après 1818, la, plupart des membres de la confrérie sont chacun amenés à diriger une académie allemande, à l’exception d’Overbeck, qui malgré des sollicitations semblables, choisit de rester à Rome. Il peint les deux manifestes du groupe, le célèbre Italia et Germania (1811-1829, Munich, Neue Pinakothek, ill. 5), et le Triomphe de la Religion dans les Arts (1840, Francfort, Städel Museum).

Notre toile a influencé le jeune Julius Schnorr von Carolsfeld (1794 - 1872) dans La famille de Saint Jean-Baptiste visitant la famille du Christ de 1817 (Gemäldegalderie, Dresde) et dans sa propre Annonciation de 1818 (Alte Nationalgalerie, Berlin) qui montrent des solutions plastiques assez semblables à celles d’Overbeck.

Nous remercions le Prof. Dr. Michael Thimann de la Georg-August-Universität à Göttingen, spécialiste de l’artiste et auteur de la monographie (2014), de nous avoir confirmé l’attribution de ce tableau à Overbeck, sur la base d’une photographie numérique en janvier 2025, et pour les informations qu’il nous a données concernant son historique et d’avoir souligné son lien avec le tableau de Peter von Cornelius conservé à Münich.