Jeudi 27 mars 2025 - ARTCURIAL PARIS - Paris

Jean-Baptiste GREUZE (Paris, 1725 - Tournus, 1805)

Jeune Fille pensive (La liseuse)

Toile

47 x 39 cm

Estimation : 200 000 - 250 000 €

Provenance  :
collection James de Rothschild, d'après Mauclair, 1906, probablement Gustave Samuel James de Rothschild (1829- 1911).
vraisemblablement vente anonyme, Paris, 13 mai 1926, n°56 (201 francs);
Vente de la succession de  Madame B. (provenant des ancienne collection Gustave et Robert de Rothschild), Piasa Drouot Montaigne 13 juin 1997, n° 73 (comme attribué à Greuze dans la catalogue, mais vendu comme par Greuze, dimension donnée avec le cadre 57 x 49cm, donné à tort comme le Mauclair, n°681).

 

 

Expositions:
De Watteau à Prud'hon. Exposition organisée au profit de la Ligue nationale contre le taudis et de l'Entr'aide sociale batelière, Paris, Galerie Wildenstein, du 11 au 31 mai 1956, Gazette des Beaux-Arts, p. 18, n° 47 (Jeune fille accoudée, dimension donnée avec le cadre 60 x 50cm, indique ).

 

Bibliographie: Camille Mauclair, Jean-Baptiste Greuze (catalogue raisonné rédigé par Charles Masson et Jean Martin), Paris, H Piazza (éditeur), 1906, p.52, n° 779 (avec erreurs de dimensions, 40 x 37 cm, comme pendant de la Méditation, Mauclair, p.45, n°680, mais la largeur de ce "pendant" est beaucoup plus réduite, 40 x 31 cm).

 

Au cours de sa carrière, Greuze a multiplié les représentations d'enfants et de jeunes gens à mi-corps, qui sont autant de prétextes à explorer son thème de prédilection : l’âme et la psychologie de ses modèles. Ici, il réussit à capter avec subtilité le passage vers l’adolescence. Dans la suite de la tradition hollandaise[1], il synthétise le portrait, la "tête d'expression" avec la peinture de genre, ajoutant sa sympathie caractéristique dans l'observation des visages. Dans ses premiers tableaux, Greuze les montrait de face, mais il ajoute, par la suite, un élément qui donne de la profondeur, comme ici un tiroir et un livre en perspective, creusant l’espace. Le cadrage resserré crée une proximité et un dialogue intime avec le spectateur. Nous datons cette toile après 1780.

Les philosophes du siècle des Lumières accordent beaucoup d’importance à l’éducation, et notamment Jean-Jacques Rousseau qui publie Émile, son traité sur ce sujet en 1762. Il a été précédé des Pensées de John Locke à la fin du XVIIe siècle, et suivi des romans d’apprentissage comme Adèle et Théodore de Madame de Genlis (1781). L’enfance devient alors des sujets d’intérêt pour les artistes, tels que Falconet, Pajou ou Houdon dans ses terres cuites.

En peinture, Chardin ou Lépicié montrent souvent des écoliers studieux, alors que Greuze capture un moment d’inattention après la lecture, saisissant le modèle en train de rêvasser[2]. Dans l’abandon de notre jeune fille, la chemise légèrement entrouverte apporte une touche de sensualité à la figure[3]. Diderot a été l’un des premiers à déceler et à décrire cette ambiguïté dans son œuvre : « Tout cela respire l’innocence, et pourtant… Ne sentez-vous pas, en même temps, une chaleur secrète, une flamme qui commence à s’éveiller ? Greuze a le talent singulier de peindre la pudeur en y mêlant une lueur de sensualité, si douce, si voilée, qu’on ne sait plus si l’on doit admirer ou désirer. »[4] .

 

 

[1] Rembrandt van Rijn, Titus à son bureau, 1655, Rotterdam, musée Boijmans Van Beuningen.
[2] Greuze avait même exposé au Salon de 1755 Un enfant qui s’est endormi sur son livre (Le Petit Paresseux Montpellier, musée Fabre). En 1800, le Portrait de Benoît-Agnès Trioson par Girodet (Musée du Louvre) décrit l’enfant totalement distrait de son étude.
[3] Elément qu’on trouve sur plusieurs de ces figures à mi-corps, (Réverie)
[4] Diderot, Salon de 1765, à propos de la jeune fille dans L’Accordée de village (Louvre).