Mardi 25 nov. 2025 - ARTCURIAL PARIS - Paris
Guido RENI (Bologne, 1575 - 1642)
David et Goliath
Toile
227 x 145.5 cm
Estimation : 2 000 000 - 4 000 000 €
Une provenance exceptionnelle
Cette version, d'une rare intensité dramatique, a appartenu à Francesco Ier d'Este, duc de Modène (1610-1658) qui l'acquit directement auprès de l'artiste, puis au prince Eugène de Savoie (1663-1736), illustre généralissime de l’Empire, grand vainqueur de la Bataille de Vienne en 1683 et bâtisseur du palais du Belvédère à Vienne. Dans cette composition la tête de Goliath est tournée vers la droite, comme dans la version conservée au musée du Louvre (ancienne coll. Créquy: puis du roi Louis XIV), avec laquelle elle partage une grande proximité stylistique.
À la mort du prince Eugène, sa prestigieuse collection est en grande partie rachetée en bloc par son neveu Charles-Emmanuel I de Savoie et placée dans son palais royal de Turin. Lors de la campagne d’Italie en 1755 – 1797, me tableau est rapporté en France dans les bagages du général Pierre-Antoine Dupont de l’Etang avant de disparaitre pendant près de 230 ans et d’être aujourd’hui redécouvert chez ses descendants.
Le chef-d'œuvre perdu de Guido Reni : Un jalon essentiel dans la naissance du classicisme &du baroque
Avec cette œuvre, vers 1605-1606, Guido Reni rebat les cartes de la scène picturale romaine. Le maniérisme tardif des élèves de Girolamo Muziano et du cavalier d'Arpin est encore la norme, même si deux courants réalistes s'imposent comme l'avant-garde : Caravage a peint les tableaux de la chapelle Contarelli entre 1599 et 1602, et vient de terminer les deux grands formats de al chapelle Cesari à Santa Maria del Popolo et les bolonais Annibale et Agostino Carrache viennent de décorer à fresque la voûte du palais Farnèse, réinventant l'iconographie des sujets mythologiques dans un sens lumineux et équilibré, inspirée par divers grands exemples de la Renaissance. A trois reprises. Caravage a peint ce sujet du David avec la tête de Goliath et, à la date de celui de Guido Reni, Caravage réalise la version conservée à la Galerie Borghese, où il se représente dans la tête coupée.
Le David marque une étape clé dans l'évolution stylistique de Guido Reni, figure majeure de l’école bolonaise. Par ses traits délicats et son élégance presque androgyne, le jeune homme qui symbolise la victoire de l’adresse sur la force est debout dans une posture recueillie, loin de tout triomphalisme. Le contraste entre son regard pensif et la tête ensanglantée de Goliath souligne la jeunesse du héros, opposée à la laideur de l’ennemi.
L’influence du caravagisme transparait dans le réalisme cru de la tête coupée, l’attention portée à la matière, et le clair-obscur dramatique qui détache la figure du fond sombre.
Toutefois Reni se distingue de Caravage par une volonté d'idéalisme et d'harmonie. Là où le peintre lombard privilégie l'intensité dramatique, les figures populaires et une lumière violente. Reni cherche une beauté apollinienne, une composition équilibrée et une lumière diffuse qui enveloppe les formes. Ce classicisme bolonais, hérité des principes de l'Académie des Carrache, vise à ennoblir les sujets religieux ou historiques par une retenue formelle et une élévation morale. Notre tableau illustre ainsi la tension féconde entre les deux grands courants du Seicento italien : le naturalisme caravagesque et l'idéal classique.
Très vite, l’œuvre inspire l’ensemble des peintres qui suivront, qu'ils soient d'obédience caravagesque ou classicisante.
Les différentes versions de cette iconographie chez Guido Reni
La réapparition du tableau survient dans le sillage de deux expositions récentes qui ont redéfini le statut des répliques autographes et les pratiques de l’atelier du maître : au Städel Museum de Francfort et au Prado à Madrid en 2022-2023 et au musée des Beaux-Arts d'Orléans en 2024. Nous devons à Corentin Dury la classification en différentes typologies de cette iconographie du David chez Guido Reni. Parmi ces dernières, signalons les deux principales :
La typologie Créquy, avec la tête de Goliath dirigée vers l'extérieur, tire son nom de Charles III de Créguy, ambassadeur à Rome de Louis XVI et propriétaire de la version du musée du Louvre : la composition générale de notre toile de celle du Louvre sont presque identiques, elles diffèrent par quelques détails ponctuels qui illustrent la liberté que s’accorde l'artiste dans la réalisation de plusieurs versions autographes. Un troisième tableau a été un temps confondu avec el notre : vendu par Sotheby's à Londres comme un original en 1985, puis en 2012, il a été rendu depuis à un collaborateur du maître, peut-être Simone Cantarini. La provenance avait alors été donnée à tort et n’a pas d'historique plus ancien que sa découverte dans un château en Écosse vers 1900.
La typologie La Vrillière, avec la tête de Goliath dirigée vers l'intérieur, tire son nom du collectionneur Louis Phelypeaux de La Vrillière qui détenait la plus importante collection de tableaux italiens à Paris après celle du roi Louis XIV et la version du David aujourd’hui reconnue comme autographe et actuellement conservée au musée des Beaux-Arts d'Orléans. Cette dernière version a donné lieu à des copies l'atelier conservées à Florence (Galleria degli Uflizzi). Dresde (Gemäldegalerie Alte Neister) et Osnabrück (Kulturgeschichtliches Museum).