Jeudi 27 mars 2025 - ARTCURIAL PARIS - Paris
Giovanni Francesco Barbieri dit le GUERCHIN (Cento 1591 - Bologne 1666)
Le Christ mort pleuré par deux anges
Toile
37.5 x 46.5 cm
Sans cadre
Estimation : 20 000 - 25 000 €
Provenance : Acquis par le père du propriétaire dans les années 1960, dans un château à Thiviers en Dordogne (avec une attribution à Caravage, voir l'article dans le journal Sud-Ouest, édition du 27 novembre 1965).
Notre toile inédite doit être mise en rapport avec le célèbre et merveilleux petit cuivre conservé à la National Gallery à Londres, de mêmes dimensions (Fig.1, inventory NG22, legs Holwell Carr, 1831), daté vers 1618 [1], c'est à dire au retour de l'artiste de Venise et avant son départ pour Rome.
Plusieurs “bozzettoni”, ou versions préparatoires, souvent sur toile, réalisées par Guerchin avant l’exécution finale sur cuivre, nous sont aujourd’hui parvenues, telles que le Saint Sébastien secouru par deux anges (version sur toile en collection privée et version sur cuivre au Fitzwilliam Museum de Cambridge), ou La vision de Saint Jérôme (version sur toile en collection privée et celle sur cuivre est au musée du Louvre). Notre tableau s’inscrit dans cette même démarche de travail de l’artiste lorsqu’il est jeune, le support sur toile se prêtait plus à ce premier jet, avant une mise au net sur le cuivre. Nicholas Turner dans sa monographie sur l'artiste les appelle "trial version", des versions d'essai [2].
On peut constater quelques variantes entre les deux rédactions de cette déploration du Christ, notamment dans la forme de la souche d'arbre à gauche, la draperie blanche qui couvre les doigts de la main gauche de l'ange de droite, alors qu'elle est placée au-dessus à Londres. On note aussi l'absence d’ailes des deux anges sur notre version, mais il s'agit d'un repentir. On voit à l'oeil nu en lumière rasante, et comme la radiographie infra-rouge l'a confirmé, qu'elles étaient présentes dans un premier temps, puis recouvertes probablement par le peintre. Dans le tableau anglais, la tunique au centre tire sur le pourpre et le violet, alors que la nôtre est vermillon, celle de l'ange de Londres est d'un ton bleu-violet, alors que la nôtre est plus grise, mêlé de vert. D'une manière générale, on peut décrire notre toile comme plus proche du caravagisme avec son clair-obscur prononcé, son intensité dramatique, et le cuivre de la National Gallery, est à situer dans la voie tracée par Ludovic Carrache pour son raffinement, ses couleurs chaudes et suaves, un aspect fini plus poussé. Des variations habituelles, imposées par la différence de support, sur lesquels le pinceau accroche autrement.
Originaire de Cento, localité à mi-chemin de Ferrare et de Bologne, Guerchin se forme de manière autodidacte par l'observation des tableaux d’autel que Ludovic Carrache, Carlo Bononi et Scarcellino ont laissé dans sa ville natale. Il en retient le dynamisme et une grande fluidité d'exécution, un luminisme d'origine vénitienne, qui sera renforcé par son séjour à Venice en 1618 où il regarde notamment Titien et Jacopo Bassano. A Bologne, après 1609, il entre dans le cercle de Ludovic Carrache et des élèves d’Annibale et réalise pendant dix ans ses petits formats les plus poétiques. Le pape Grégoire XV l'appelle à Rome en 1621, où il s'impose par d’immenses retables et la fresque de l’Aurore au casino Ludovisi.
Nous remercions Nicholas Turner d'avoir confirmé l'authenticité du tableau sur photographie numérique et par mail le 10 décembre 2024.
[1] Nicholas Turner, The Paintings of Guercino. A Revised and Expanded Catalogue raisonné, Rome, Ugo Bozzi Editore, 2017, p.324, n°66. Il notait alors, suivant une intuition de Denis Mahon, qu'il y a trop de mentions de ce sujet au XVIIe siècle, pour ne pas imaginer qu'il existait une autre réplique autographe en plus du tableau de Londres.
[2] Op. cit., pp. 211-223. Citons encore trois dessins d'étude pour le corps du Christ au Statens Museum for Kunst de Copenhague, à la Royal Library au château de Windsor et au musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg. Le tableau de Londres a été gravé par Nicolas Pitau l'Ancien, édité par Theodor van Merlen II, en 1668.