Vendredi 28 mars 2025 - DAGUERRE - PARIS

Eugène DELACROIX (Charenton, 1798 - Paris, 1863)
Etudes de lions couchés
Toile et châssis d'origine
61 x 50 cm
Au dos des essais de palette sur la toile et le chassis. Certificat de Pierre Dieterle d'avril 1973 (comme Eugène Delacroix) ; courrier de Lee Johnson d'avril 1966. Sur le châssis marque Haro rue de Colombier et cachet de cire de la vente d'atelier de Delacroix.
Estimation : 200 000 - 300 000 €
Provenance :
- Vente atelier Eugène Delacroix, Paris, Hôtel Drouot, 17-19 février 1864, lot 213, à Biedermann pour 1180 frs.
- M. J. Nicolas, août 1864 (selon L. Johson, vol. I, p. 34, n° 56) ;
- Detrimont (selon L. Johnson, vol. I, p. 34, n° 56) ;
- Charles Soultzener (1811-1880) ; (Detrimont lui échange le tableau contre une peinture de Diaz et 1000 frs, le 11 mars 1873) ;
Soultzener possédait plusieurs tableaux de Delacroix, mais aussi de Jean-François Millet et des peintres de l'école de Barbizon.
- par descendance dans la famille Soultzener, Paris ;
- son arrière-petite-fille, Mme M. de Boulancy, Paris.
Exposition :
- Boulevard des Italiens, Paris 1864, n° 92 ("Têtes de lionnes. Etude" -sic-), prêté par M. J. Nicolas.
Bibliographie :
- Adolphe Moreau, E. Delacroix et son œuvre, Paris, Librairie des bibliophiles, 1873, n° 213, p. 322.
- Alfred Robaut, L'OEuvre complet de Eugène Delacroix, Paris, Charavay Frères, 1885, p. 74, n° 264.
- André Joubin, Journal de Eugène Delacroix, Paris, Plon, édition 1950, vol. I, p. 252 ; vol. II, p. 374 (parle de cette œuvre qu'il prête à Lehmann).
- Luigina Rossi Bortolatto, L'opera pittorica completa di Delacroix, Milan, Rizzoli, 1972, p. 97, n° 178 (non reproduit).
- Pierre Georgel, Luigina Rossi Bortolattao, Tout l'Oeuvre Peint de Delacroix, Paris, Flammarion, 1975, p. 97, n°178 (non reproduit).
- Lee Johnson, The Paintings of Eugene Delacroix: A Critical Catalogue, 1816-1831, Oxford, Clarendon Press, 1981, vol. I, p. 34, n° 56 ; vol. II, pl. 48.
« Vous êtes mon lion superbe et généreux », déclare Doña Sol à Hernani dans la pièce de Victor Hugo de 1830. Le roi des animaux incarne à lui seul l’essence du Romantisme, par sa fougue et sa force sauvage.
Un an auparavant, Delacroix écrivait le 19 juin 1829 « Le lion est mort, au galop, le temps qu'il faut pour nous activer. Je vous y attends », à son ami le sculpteur Barye, l’invitant à venir peindre sur le vif le lion et qui venait de rendre son dernier soupir. Celui-ci avait été offert au Museum par l’amiral Henri-Daniel Gaulthier, comte de Rigny. Partageant cette même fascination pour ces bêtes féroces, les deux artistes passent leurs journées au Jardin des plantes du Museum d’Histoire naturelle de Paris à observer leurs mouvements et capturer les postures. Ils dessinent les félins vivants le jour et analysent leurs anatomies la nuit, devant leurs dépouilles, à la bougie. Ils s’inscrivent ainsi dans la lignée des recherches de Stubbs et de Géricault.
Eugène Delacroix a multiplié, au cours de sa carrière, des études de fauves, pour elles-mêmes ou en vue d’être incluses dans une scène avec figures. En 1829, il envisage une composition sur ce thème pour le Salon, hésitant à peindre soit des lions, soit des tigres, au repos -ce qui tranche avec les sujets académiques de combats et de chasse -. Il opte finalement pour les seconds et expose un Jeune tigre jouant avec sa mère (musée du Louvre). Notre toile s’inscrit dans le matériel documentaire accumulé en vue de ce projet et évoque ainsi la célèbre aquarelle, avec rehauts de gouache, du musée du Louvre, Tête de lion rugissant (vers 1833-1835), tout comme plusieurs feuilles d’études où cohabitent ensemble plusieurs lions et lionnes dans diverses poses (Art Institute of Chicago), comme sur notre toile.
Depuis les marges d’une lithographie de son Méphistophélès (1828), entourée de croquis de félins rapidement enlevés, et jusqu’à la fin de sa vie, Delacroix reviendra sans cesse sur ces thèmes. Jusque-là immobiles et inoffensifs, ils sont montrés en action à partir du milieu du siècle, de la Lionne guettant sa proie (aussi appelée Le Puma (1852-1854, musée du Louvre) bientôt suivi d’une série de toiles : Le Lion dévorant un lapin (1853, musée du Louvre), Le Lion dévorant le sanglier (idem) et Le Lion et caïman (1855,idem), ou qu’il les intègre à des peintures d’Histoire plus complexes comme Daniel dans la fosse aux lions (1849-1850, Montpellier, musée Fabre) et dans les diverses versions de La Chasse aux lions (1854 à 1861, fragment à Bordeaux, musée des Beaux-arts, Stockholm Nationalmuseum, Chicago, Art Institute, Boston, Museum of fine Arts).
Le jeune Delacroix s’est donné pour modèle Rubens, dont il avait étudié et copié le char tiré par des lions dans l’Arrivée de la reine à Lyon du cycle de la galerie de Marie de Médicis au Louvre. Il devait être fasciné par la représentation si vivante de ces animaux qu’en avait donné son mentor dans Daniel dans la fosse aux lions (1614-1616, National Gallery of Art) et surtout dans la Chasse aux lions qu’il a pu voir au Louvre (1615-1617, disparue à Bordeaux en 1870).
Notre tableau est à rapprocher de la technique du dessin au lavis, dans une palette baignée d’ocres et de bruns profonds, rehaussée de touches claires. Le medium, assez liquide, rapidement brossé, permet à Delacroix de rendre le pelage vif et éclatant, et d’exalter la majesté des fauves, bien qu’ils soient montrés paisibles et même certains endormis.