Turquin

Mardi 24 sept. 2024 - COUTON VEYRAC JAMAULT - Nantes

Artiste Piémontais travaillant en Savoie au début XVIe siècle

DEPLORATION ET MISE AUTOMBEAU DU CHRIST

Panneau de dévotion ou de retable, noyer, une planche, non parqueté

68 x 45.8 cm

Estimation : 8 000 - 12 000 €

Panneau : Au revers, présence de galeries d’insectes xylophages et nombreuses traces d’outil

Le panneau a été restauré dans le coin inférieur droit avec ajout d’une pièce de bois .

Surface picturale : traces d’usures, soulèvements dans le bas du panneau, et quelques

manques principalement dans la Mise au tombeau.

 

ICONOGRAPHIE

Dans un lointain paysage lacustre éclairé par un ciel d’orage, les dernières scènes de la Passion occupant l’avant-plan du tableau, se déroulent entre une colline boisée et une haute falaise rocheuse bordée en contrebas d’un jardin clos. Au premier plan, le Christ mort, étendu sur un linceul maintenu par Nicodème et Joseph d’Arimathie, est entouré de la Vierge et des saintes femmes orantes tandis que ce même groupe procède à l’arrière à la Mise au tombeau. Ces deux scènes se déroulent successivement dans le temps, moment que l’artiste choisit d’indiquer par la position amenuisée des personnages de la seconde étape du récit et par une perspective linéaire quelque peu chahutée. Les motifs de la Pietà, de la Déploration ou de la Mise au tombeau, isolés de leur contexte historique, prennent un essor particulier dans la chrétienté à la fin du XVe siècle. Le Christ y apparaît sans vie, étendu soit sur les genoux de Marie, soit sur un linceul posé à terre, ou encore sur la pierre tombale. La plupart des exemples parvenus jusqu’à nous, tant en peinture qu’en sculpture, montrent un Christ la tête penchée, le visage allongé et livide, couché sur le dos, laissant le bras droit dans le vide. Rarement, comme ici, le trouve-t-on tourné sur le côté, reposant sur les genoux de Nicodème, les deux bras pendants exhibant les stigmates de la Crucifixion, insistant ainsi sur les effets tangibles de la mort. La compassion manifestée par la plupart des personnages, contraste avec l’animation des deux saintes femmes devisant aux pieds du Christ. Cette attention particulière portée au réalisme de la situation, se retrouve également dans la description minutieuse du jardin clos et du paysage alpin.

 

 

STYLE

A la fin du XVe siècle, la culture artistique de cette région montagneuse, territoires sillonnés de vallées profondes menant de la Provence et de Nice vers le nord et l’est et du Piémont à la Bourgogne en passant par la Savoie, est favorisée par d’intenses échanges tant commerciaux qu’artistiques. L’auteur de notre panneau, inédit jusqu’ici, emprunte son style à l’art de ces diverses régions en particulier celui de la Savoie.2


Cette dernière contrée, s’étendant du Piémont à la Bourgogne et de Chambéry à Genève, fut élevée en 1416 en duché qui perdura jusqu’en 1559. C’est sous le règne de Charles II de Savoie (1486-1553) qu’il faut plus précisément situer l’exécution de cette Déploration. Dans cette œuvre, à la description géographique du territoire savoyard se mêlent les influences turinoises sensibles dans la description de la Vierge ou des saintes femmes (Suiveur de Defendente Ferrari, Musée de Bourg en Bresse) 1 et la mode vestimentaire des personnages profanes rappelle celle de la Bourgogne flamande, attestant la culture pluridisciplinaire de son auteur.

Cependant, le caractère gothique du jardin clos rappelant le style de l’« Hortus conclusus » médiéval lié à la naissance virginale de la Vierge - sans que, à notre connaissance, l’on y trouve le même symbolisme - témoigne d’un goût réactionnaire de l’artiste, à moins qu’il ne s’agisse d’un intérêt particulier pour le charme des jardins appartenant à la noblesse, illustré par nombre d’enluminures de l’époque. A l’appui de cette opinion, citons, entre autres, la miniature du Livre d’Heures de Louis de Savoie où, dans un jardin bordant un paysage lacustre, Sainte Claire est assise sous une treille en berceau garnie de pampres, identique à celle couvrant le mur d’enceinte de notre panneau (fig.1) 2   ou encore la Déploration et la Mise au tombeau, prédelle d’un retable attribué à un collaborateur de Defendente Ferrari 3 (Abbaye de Hautecombe) où la scène se déroule également dans un jardin clos d’une haie fleurie. A cet égard, M. Natale y a notifié l’importance donnée à la description du linceul tenu ostensiblement par Nicodème et son compagnon, motif lié à la présence du Saint Suaire conservé depuis 1502 dans la chapelle du château de Chambéry 4 . Cette remarque particulière permet d’affiner la date d’exécution de notre panneau où cet élément prédomine à l’avant-plan.

Enfin, le couvre-chef de Nicodème, bonnet à bords recourbés, est exactement celui porté par un assistant de la Résurrection de Lazare (fig.2 ) dans le retable provenant sans doute de la chapelle du Saint Sépulcre au monastère des Antonins de Chambéry 5 , retable exécuté en 1496-1497 par Jacquelin de Montluçon (vers 1463-Bourges 1505). Rappelons que cet artiste berruyer dut venir en Savoie à la suite de Jean Colombe, l’enlumineur qui termina les Très Riches heures du duc de Berry en 1485 6 et qui résida à la cour de Savoie jusqu’en 1489. Dans la miniature du folio 75 (fig.3), le duc Charles Ier et son épouse Bianca de Montferrat prient devant le Christ au tombeau, placé dans un paysage montagneux et lacustre, typique de la région savoyarde et caractère topographique similaire à celui de notre panneau.

Ainsi, ce dernier, encore teinté des marques du gothique finissant, présente de multiples caractères stylistiques relevant de sources variées permettant de situer sa réalisation, sinon à Chambéry même, du moins dans la région proche et son auteur, artiste imprégné de l’art de son temps, dut l’exécuter sans doute au cours des deux premières décennies du XVIe siècle,

 

1 Bourg en Bresse, Musée de l’Ain, cf. La Renaissance en Savoie, exposition Genève, Musée d’Art et d’Histoire,

15 mars-25 Août 2002, p. 101-110, fig.12

2 Paris , Bibliothèque Nationale, ms.latin 9473, f. 186v, vers 1450-1460

3 Cf. M. Natale in La Renaissance en Savoie, op.cit. fig. 4, p. 119

4 Idem, p.121

5 Cf. Lyon, Musée des Beaux-Arts, Catalogue raisonné des peintures françaises,du XVe au XVIIIe siècle, Paris

2014, n.3, p.68-69

6 Chantilly, Musée Condé, Ms.65 ; sur cet artiste, cf. Corti e Città , Arti nel Quattrocento nelle Alpi occidentali,

Turin, Palazzo della Promotrice delle Belle Arti, 7 février-14 Mai 2006, p. 463-466.

 

Liste des figures :

Fig. 1 SAINTE CLAIRE assise sous une treille

Livre d’Heures de Louis de Savoie, vers 1450-1460,

Paris, Bibliothèque Nationale, ms. Latin 9473, fol. 186v

 

Fig.2 JACQUELIN DE MONTLUCON, vers 1496-1498

RESURRECTION DE LAZARE

Lyon, Musée des Beaux-Arts

 

Fig.3 JEAN COLOMBE

Christ au tombeau adoré par Charles Ier de Savoie et Bianca de Montferrat

Très Riches Heures du duc de Berry , 1485

Chantilly, Musée Condé, ms.65 , fol. 75