Wednesday 04 Jun 2025 - MILLON - Paris
Balthasar van der AST (Middelbourg, 1593 - Delft, 1657)
Corbeille de fruits, vase de fleurs et coquillages sur un entablement
Panneau de chêne, trois planches, non parqueté
77 x 105 cm
<p>Signé en vas à droite '.D vander. ast. fe...'. <span style="letter-spacing: 0.01em;">Inscriptions au crayon au revers du cadre, inscription sur une étiquette XXe siècle au revers du panneau </span></p>
Estimate : 200 000 - 300 000 €
Provenance :
Accidents au cadre, manques sur l'entablement
Dans ce panneau inédit de grand format Balthasar van der Ast, l'un des maîtres incontestés de la nature morte hollandaise du 17e siècle, montre tout son savoir-faire. Il peut être daté entre 1619 et 1632, durant son séjour à Utrecht, lorsque son style personnel allie précision naturaliste à des compositions dynamiques, riches d’éléments symboliques.
Au tournant du siècle, Middlebourg, deuxième centre économique des Provinces-Unies après Amsterdam, prospère grâce au commerce maritime. Ville portuaire stratégique, elle attire une élite marchande avide de raffinement et de curiosités exotiques. Avec la fondation de la Compagnie des Indes orientales en 1602, les navires néerlandais importent épices, plantes et animaux rares, déclachant un réel engouement pour le jardinage et les collections. En 1610, Casparus Pelleterius rédige le premier herbier local de l’île de Walcheren, témoignant de cet intérêt croissant pour la botanique. Cette fascination suscite une forte demande de peintures représentant ces raretés, permettant à ceux qui ne pouvaient s’offrir ces trésors naturels de les posséder à travers leurs représentations.
Middlebourg connaît un âge d’or artistique grâce à la « dynastie Bosschaert ». Balthasar van der Ast est issu d’une famille aisée de marchands de laine d’Anvers, qui a dû s’exiler comme de nombreux protestants, pour fuir les persécutions religieuses. Devenu orphelin en 1609, il s’installe chez sa sœur Maria et son beau-frère Ambrosius Bosschaert l’Ancien, dont il devient l’élève. Il formera ensuite les fils de ce dernier (Ambrosius le Jeune, Johannes et Abraham), perpétuant la tradition picturale qui influencera les œuvres d’Anthony Claesz, de Johannes Baers et probablement de Jan Davidsz de Heem dans un esprit plus opulent et baroque. En 1619, il suit ses parents adoptifs à Utrecht, où il rejoint la guilde de Saint-Luc et rencontre Roelandt Savery. Son travail gagne alors en subtilité tonale et sa renommée s’étend. En 1632, il s’installe à Delft, où il entre à la guilde de Saint-Luc en 1633 et épouse Margrieta Jans van Buijeren avec qui il aura deux filles. C’est alors qu’il réalisera sa commande la plus prestigieuse pour le prince Frédéric V de Bohème, une Nature morte allégorique de grand format aujourd’hui conservée au musée de la Chartreuse de Douai.
Notre panneau s’organise selon une structure triangulaire, où les diagonales convergent vers le sommet de l’assiette de fruits. Ce principe, déjà à l’œuvre dans les premières natures mortes, confère à l’ensemble un équilibre harmonieux. Afin de souligner la richesse des motifs (fleurs, fruits et animaux), il adopte une composition échelonnée, plaçant les objets sur différents plans. La source de lumière, placée à droite, diffuse une lueur douce et chaleureuse, tandis que l’usage subtil du clair-obscur accentue les reflets sur les différents motifs. Pour renforcer la profondeur spatiale, Van der Ast choisit un cadrage resserré et une perspective légèrement surélevée. Certaines feuilles débordent de l’entablement en bois, brisant les limites du cadre et conférant une véritable impression de tridimensionnalité. Sa signature, brune bordée de jaune, est ombrée pour donner l’illusion d’une inscription gravée dans le bois.
Au centre dans une assiette en étain, capturant le jeu subtil de cette surface métallique, Van der Ast dispose généreusement des cerises, abricots, coings, pèches, prunes, raisins. Les élégantes branches fruitières, en particulier les feuilles de vignes, vibrent d’un vert bronze ou bleuté, rehaussées par un glacis brunâtre et créent des transitions subtiles, s’intègrent harmonieusement au fond sombre. Les fines gouttes de rosée accentuent le naturalisme de l’ensemble.
Néanmoins, l’œuvre, plus qu’une imitation fidèle du réel, est porteuses de messages pour le spectateur et montre la capacité du peintre à insuffler du sens aux divers motifs de sa composition. La cerise, rouge comme le sang, suggère la Passion du Christ. La pêche, symbole du cœur et de la vérité, peut aussi lorsqu’elle est coupée, rappeler le fruit défendu dont la moitié fut offerte à Adam [1]. Le raisin et la vigne, liés au vin eucharistique, incarnent le sacrifice du Christ tandis que la prune évoque sa charité et son humilité. Par ailleurs, Van der Ast parvient à figurer avec une grande justesse l’état de décomposition de certains fruits, emblème ultime de la brièveté de l’existence dans les natures mortes.
Sur le côté gauche, on peut observer différents coquillages exotiques, dont l’artiste s’applique à rendre les surfaces dures et brillantes. Ils étaient rapportés du Japon, de l’Afrique, du Brésil, des Indes orientales et des Caraïbes par les bateaux de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales. Ils furent l’objet de convoitises et de spéculations très importantes si bien que les amateurs étaient surnommés les shelponzotten ou les « fous de coquillage ». Ils pouvaient coûter plusieurs milliers de guilders, chacun pour orner les Kunstkammers. On reconnait un Lambis scorpius, un cône marbré de l’océan Pacifique (Cornus marmoreus), dont Rembrandt tirera une célèbre gravure en 1650, une coquille de pie des Antilles (Cittarium pica), un Lobatus gigas et un Turris semipustulosa. Dans la tradition chrétienne, les coquillages, en particulier les mollusques qui s’y abritent, figurent la résurrection et la vie éternelle, à travers l’image de l’âme quittant son enveloppe charnelle après la mort.
A droite de quelques abricots et coings mûrs tombés de l’assiette, se dresse un bouquet dans un petit vase aux montures en bronze doré sur le col, présent dans une vingtaine de ses œuvres. Sa panse est ornée de fleurs stylisées et d’un dodo, reconnaissable à son bec arqué et son dos courbé, et que l’on retrouve dans une œuvre comparable vendue chez Christie’s New York (19 avril 2007, lot 81, collection particulière). Van der Ast aurait pu l’observer chez son ami Roelant Savery, qui a représenté cet oiseau sur ses oeuvres à plusieurs reprises entre 1611 et 1628. Notre vase en faïence bleue et blanche, produit à Delft, s’inscrit dans l’esthétique chinoise de l’époque Wan-li (1572-1660).
Si le bouquet est l’image du paradis sur terre où tous les sens humains sont stimulés, les fleurs incarnent également la fugacité de la vie et les plaisirs éphémère dans les Ecritures Van der Ast expose son vaste répertoire floral : muguet, rose, iris d’Allemagne, myosotis, dalhia, adonis et une tulipe rouge et blanche, une Semper Marcus Aurelius Augustus variété la plus prisée. Venues de Constantinople et introduites en Europe au XVIe siècle, les tulipes font l’objet d’une véritable spéculation et atteignent des prix exorbitants. Elles symbolisent alors la vanité et la frivolité des comportements humains en critique de la tulipomanie, dont la bulle spéculative s’effondre en 1637. Sa forme évoque également le glaive qui transperça la Vierge et dont l'amour universel est aussi suggéré par la rose sans épine. Les brins de muguet, par leur parfum délicat et leur mouvement incliné de dévotion, figure l'humilité de Marie. Les bourgeons ne fleurissent qu’en mai, rappelant ainsi le cycle des saisons tandis que le myosotis, fleur du paradis, rappelle le salut de l'âme qui reste fidèle à Dieu.
Le contour et le dessin de chaque espèce sont reproduits avec l’attention d’un miniaturiste dans des tons éclatants. Pourtant malgré l’aspect naturaliste du bouquet, le choix des variétés de fruits et de fleurs rappelle que Van der Ast a puisé dans un répertoire de dessins et d’études à l’aquarelle, capturant chaque spécimen sur le vif avant de l’intégrer dans une composition plus élaborée. Dans le même bouquet, coexistent des fleurs et de fruits de différentes saisons.
Notre œuvre est animée par une riche présence animale. Une libellule aux ailes irisées (Aeschne affine) s’est posée sur le feuillage, tandis qu’un papillon vulcain (Vanessa atalanta) est représenté en plein vol. Animal éphémère par excellence, le papillon symbolise le mythe de Psyché, dont l’âme s’envole et qui a ensuite inspiré la chrétienté. La métamorphose de la chenille (Zygaena exulans) en être ailé fait du papillon un symbole du passage de la vie terrestre à l’au-delà. À l’extrême droite, un lézard (Hemidactylus frenatus) rampe et son corps sinueux en mouvement évoque les compositions de Roelandt Savery. Autre allusion à la résurrection, il était aussi associé à l'hypocrisie, à la tromperie ou à la vindicte. Une sauterelle (Decticus verrucivorus) se dissimule parmi les feuillages, tandis que deux araignées (Parasteatoda tepidariorum) s’accrochent à une feuille de vigne, suspendues à leur fil délicatement tissé. Les feuilles rongées par les insectes, les fruits talés et le lézard qui, à tout moment, peut avaler la libellule suggèrent ainsi la mort. La sauterelle, métaphore de la destruction, renvoie aux dix plaies d’Egypte où elles dévorèrent « tout le fruit des arbres, tout ce que la grêle avait laissé » .
Chaque motif joue ainsi un rôle spécifique dans cette forme de contemplation, de méditation par rapport à la mort, à la résurrection, au péché dans une grande célébration esthétique.
Fruits :
1 : Cerise
2 : Abricot
3 : Coing
4 : Pèche
5 : Raison
6 : Pomme
7 : Prune
8 : Poire
9 : Feuilles de vigne
Coquillages :
10 : Ptérocère scorpion / Lambis scorpius
11 : Cône marbré de l’Océan Pacifique / Cornus marmoreus
12 : Coquille de pie des Antilles / Cittarium pica
13 : Strombe géant / Lobatus gigas
14 : Turris semipustulosa
Fleurs :
15 : Muguet / Convallaria majalis
16 : Dahlia / Glory of Heemstede
17 : Dahlia / Boogie Woogie
18 : Rose / Rosa
19 : Iris de Dalmatie / Iris Pallida
20 : Myosotis / Myosotis alpestris
21 : Adonis d’Automne / Adonis annua
22 : Tulipe / Semper Marcus Aurelius Augustus
23 : Lis de David / Lilium davidii
Insectes :
23 : Papillon vulcain / Vanessa atalanta
24 : Lézard / Hemidactylus frenatus
25 : Sauterelle / Decticus verrucivorus
26 : Araignée / Parasteatoda tepidariorum
27 : Libellule / Aeschne affine
28 : Chenille / Zygaena exulans
29 : Mouche / Musca domestica
[1] Albert de Mirimonde, « Musée des beaux-arts de Douai II : une nature morte allégorique de Balthasar van der Ast », La Revue du Louvre et des musées de France, n°5, 1964.