Wednesday 11 Jun 2025 - TAJAN - PARIS
Pietro LORENZETTI (documenté à Sienne de 1305 à 1345)
La Vierge de l'Annonciation
Panneau rond (médaillon d’un retable)
Diamètre : 11 cm
<p>Diamètre du panneau seul : 11 cm </p><p>Diamètre avec le cadre : 19 cm</p><p>Epaisseur du panneau : 1 cm</p>
Ancient restorations
Restaurations anciennes et fente
Estimate : 30 000 - 50 000 €
Se détachant sur le fond d’or, la petite Vierge est vue à mi corps et de profil tournée vers la gauche. Vêtue d’une robe rose, elle retient de sa main droite un pan de son manteau noir qui la couvre entièrement, tandis que la gauche arbore un livre ouvert. Son regard fortement intériorisé, son geste d’humilité retenant son manteau et celui laissant tomber le livre, traduisent le choc qu’elle ressentit à la venue subite de l’archange Gabriel, le compagnon de ce médaillon actuellement absent et qu’il reste à retrouver. Cette représentation est l’exacte reprise de l’attitude de la vierge de l’Annonciation (fig.1) scène que Pietro a illustrée au sommet du retable peint pour le maître-autel de la Pieve, - toujours en place - en l’église paroissiale d’Arezzo, œuvre signée et commandée le 17 avril 1320 par Guido Tarlati, évêque d’Arezzo (fig.2).
A partir de cette date Pietro, plus sensible à l’art de Giotto, affirme fortement sa personnalité, en s’éloignant de l’emprise de Duccio subie dans sa jeunesse vers 1310-1315 dans les madones de Cortone ou de Montichiello . Dans ce petit médaillon, à l’instar de la scène de l’Annonciation d’Arezzo et des deux petites saintes cantonnant le Calvaire (fig. 3) de l’ancienne collection Carlo de Carlo, le maître porte une attention soutenue à la mise en place spatiale des éléments. Il recule ainsi légèrement la Vierge dont l’importance plastique occupe presque tout l’espace, crée un vide en enroulant le drapé du manteau autour du bras où vient alors se loger le livre que tient la main. L’expression du personnage est d’autant plus accentuée par la perspective raccourcie du livre que, dans son trouble, la Vierge a retourné.
Sans doute inspirée par les sculptures de Giovanni Pisano, l’intensité pathétique de la scène que l’on note dans le regard inquiet de la Vierge au sein d’un visage au modelé subtil que renforcent de délicats passages de l’ombre à la lumière, exprime clairement la maîtrise dramatique et technique de Pietro.
A quel ensemble ce médaillon a-t-il appartenu ?
Dans la peinture toscane de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle, le principe d’un médaillon comportant des personnages sacrés dans l’encadrement des tableaux d’autel de type Maestà, ou Vierge en majesté, est déjà attesté. On le constate dans celles de Cimabue vers 1280 (Louvre) ou de Duccio en 1282 (Florence, Offices). Cette même disposition intervient également dans les fresques comme la Maestà de Simone Martini peinte en 1315 pour le Palais Public de Sienne.
Dans la construction des retables siennois à plusieurs panneaux du début du XIVe siècle, de tels médaillons accueillant des saints ou des prophètes apparaissent dans les parties hautes du retable, à l’instar du retable d’Arezzo, cité supra, ou celui de l’Annonciation de Simone Martini en 1333 peint pour le Dôme de Sienne.
On les trouve également dans les prédelles au bas du retable. Cette partie située au plus près de l’autel - ce dernier considéré comme le tombeau du Christ – reçoit généralement les représentations de la Vierge et de saint Jean l’Évangéliste pleurant le Christ mort entourés de saints, dont Giotto fournit un modèle dans le retable de Bologne (Pinacoteca Nazionale).
La disposition des représentations dans les différents registres du retable reflète les textes scripturaux auxquels elles se réfèrent. Ainsi, les prophètes qui précèdent et annoncent la venue du Christ apparaissent-ils dans les registres supérieurs du retable. De même l’Annonciation, scène fondamentale de la théologie chrétienne, prémisse de l’Incarnation et fondement de la foi chrétienne, occupe également cette zone, au-dessus de l’image centrale de la Vierge et l’Enfant, comme Pietro Lorenzetti l’a réalisé à Arezzo.
Mais lorsque les contraintes architecturales l’exigent, la scène de l’Annonciation peut être partagée en deux éléments, l’ange Gabriel à gauche et la Vierge à droite, de part et d’autre d’un élément de structure les séparant. En 1305, Giotto éloigne ainsi les deux protagonistes au sommet de l’arc de triomphe de la chapelle de l’Arena à Padoue. Cette pratique devient systématique dans la peinture de chevalet, particulièrement dans les tableaux de dévotion de petits formats. Dans les diptyques, l’ange occupe le volet de gauche, la Vierge celui de droite, dans les triptyques chacun de ces personnages est relégué au sommet de chaque volet.
Compte tenu de son iconographie et de ses dimensions, identiques à celles des médaillons accueillant les prophètes dans le retable d’Arezzo de Pietro Lorenzetti, il y a tout lieu de croire que notre médaillon surmontait le panneau central d’un retable, dans l’écoinçon droit formé par l’arcade en plein cintre ou en tiers point au-dessus de la représentation d’une Vierge à l’Enfant. L’archange Gabriel encore manquant, lui faisant face, apparaissait dans l’écoinçon de gauche.
Le fil horizontal du support de notre médaillon aurait pu faire penser à un élément de prédelle, partie généralement constituée par une large planche placée horizontalement au bas du retable, mais le sujet représenté exclut cette hypothèse.
Il conviendrait de considérer, contrairement aux habitudes de construction des retables où les médaillons étaient peints sur le même panneau que celui qui les recevait, que notre médaillon a pu être découpé dans une planche au fil horizontal de 1cm d’épaisseur, différente du panneau principal qu’il devait compléter, puis fixé à ce dernier par le clou ancien encore visible au revers qui est sans doute responsable de la fente actuelle. Une fois assujetti à son support, une fine moulure actuellement disparue - et dont on voit encore la trace sur le pourtour du médaillon - devait l’encadrer.
En l’état actuel de nos connaissances, cette Vierge ne peut malheureusement pas être reliée à une œuvre connue de Pietro, mais son exécution, si proche de son homologue dans le retable d’Arezzo, dut voir le jour à la même époque, peu avant 1320. Cette date est d’ailleurs corroborée par le style et l’utilisation dans l’auréole d’un motif de volute gravé et ponctué de simples petits ronds poinçonnés que l’on retrouve dans les auréoles des saintes Flora et Lucilla et du Christ bénissant dans le centre du triptyque cité supra que l’on date de la même époque (figs.4,5) mais l’exécution en parait plus faible.
La plupart des œuvres de Pietro Lorenzetti produites avant 1320 offrent une ornementation gravée des auréoles d’une grande diversité de motifs de haute qualité, en particulier ceux du retable d’Arezzo. En raison de la modeste qualité de l’ornementation de ce médaillon, faut-il conclure que Pietro, à qui on ne peut retirer la paternité de notre Vierge, a laissé l’exécution du nimbe à l’un de ses très jeunes aides ?
1. Cf. C. Volpe, Pietro Lorenzetti, ed. M. Lucco, 1989, cat. 97, p.121-125 et D. Cooper, A. De Marchi in Siena, The rise of painting 1300-1350 ed. J. Cannon, Londres, National Gallery, 2024, p. 95-99
2. Cf. Volpe, op. cit. respectivement , cat.83,84, p.108-113.
3. Ce panneau (Milan, collection particulière) centre d’un triptyque dont les volets sont perdus, offre au registre principal les représentations de deux saintes, peut-être Flora et Lucilla vénérées à Arezzo, et surmonté d’une lunette où apparaît le Christ bénissant entre deux anges. Publié en premier par M. Boskovits, Considerations on Pietro and Ambrogio Lorenzetti , Paragone, 439, 1986, p.3-16 et M.Laclotte, in Duccio : Alle origini della pittura senese, Milan 2003, p. 401 repr. Ces deux historiens, s’accordent pour y reconnaître une œuvre de Pietro Lorenzetti proche du retable d’Arezzo.
4. Rappelons que l’historien américain Millard Meiss a mis en évidence l’utilisation de la gravure des auréoles dans les œuvres antérieures à 1320 et qu’après cette date, à la suite de Simone Martini, les artistes siennois ont abandonné cette technique en faveur de motifs poinçonnés d’une très grande richesse ornementale.